Au cours d’une sortie ornithologique au lac de Lescouroux en octobre 2010, j’ai été frappé de constater à quel point les berges amont du lac principal étaient peuplées d’une espèce quasi unique, "la Lampourde glouteron ou à gros fruits" - Xanthium strumarium.
En cette saison le niveau des eaux est bas et, posté sur la digue amont, il est facile de constater l’étendue de la colonisation par X. strumarium. Non seulement les berges sont intensément exploitées par l’espèce qui élimine toute concurrence, mais le lit principal du lac en aval de la digue, il y a seulement peu, complètement immergé, est totalement recouvert d’un voile vert constitué exclusivement de lampourdes à petit développement mais déjà chargés de fruits. On pourrait y voir comme une réponse adaptative à la faible fenêtre temporelle autorisée par le recul intermittent des eaux. Seules font exception quelques poches inondées ici et là, où croissent quelques taxons aux préférences plus amphibies.
Cette espèce étant plutôt peu abondante en zone agricole, je suis suffisamment intrigué par sa forte densité pour chercher à en connaître la valeur et le mode de répartition spatiale à l’échelle de mon observation, c'est-à-dire une petite portion de berge représentative de l’ensemble.
Après avoir délimité une zone à forte densité, je réalise un échantillonnage aléatoire simple de 40 relevés de densité dans des quadrats de 2,30 m2 résumés dans le tableau 1.
La taille de l'échantillon est validée à postériori par la relation
U2(0,025) = 1,96 ; n = 40 ; μ = 96,5 ; σ = 37
qui fournit en outre une précision de l'estimation de la moyenne, k = 12% ; précision tout à fait satisfaisante dans les conditions de l'étude.
Effectif du quadrat | Nombre de quadrats | Effectif du quadrat | Nombre de quadrats |
35 | 1 | 89 | 1 |
37 | 1 | 91 | 2 |
41 | 1 | 98 | 1 |
47 | 1 | 101 | 1 |
58 | 1 | 106 | 1 |
64 | 1 | 109 | 1 |
65 | 1 | 118 | 1 |
67 | 1 | 121 | 1 |
70 | 2 | 124 | 1 |
71 | 1 | 126 | 2 |
77 | 2 | 127 | 1 |
78 | 1 | 129 | 1 |
79 | 1 | 135 | 1 |
81 | 1 | 143 | 1 |
83 | 1 | 146 | 1 |
84 | 2 | 165 | 1 |
86 | 1 | 174 | 1 |
|
| 187 | 1 |
Tableau 1 – Nombre de Lampourdes relevées dans 40 quadrats de forte densité.
L'échantillon est représenté par la figure 1.
Figure 1 – Histogramme de répartition des Lampourdes dans les quadrats (exp. : 10 quadrats ont des effectifs compris entre 60 et 80 plantes).
Par ailleurs, l’effectif moyen des quadrats est donné par
avec n = nombre total de relevés, soit 40 ; ni = nombre de quadrats pour l’effectif xi,
et sa valeur est 96,5 plantes par quadrat.
La variabilité exprimée par la variance de l’échantillon est donnée par
qui a pour valeur S2 = 1345,59
les estimations de ces paramètres pour l’ensemble de la zone étudiée sont
μ = 96,5 lampourdes par quadrat et
soit 40 x 1345,59 / 39 = 1380,09
Ramené à l’hectare, le nombre moyen de lampourdes devient
μ = 96,5 x (10000/2,3) = 419 565 lampourdes / Ha
Indice de dispersion et modèle théorique.
Bien qu’à forte densité la population de lampourdes sur cette zone semble être répartie de manière régulière, l’indice de dispersion indique plutôt une répartition en agrégats. En effet, pour
I = 14,30
valeur évidemment supérieure à 1.
Cependant, pour confirmation on teste l’hypothèse nulle H0 : "la distribution des lampourdes est au hasard" (I = 1). On calcule alors la statistique I(n-1) = 14,3 x 39 = 557,7 qui suit approximativement une loi de Chi-2 à n-1 degrés de libertés (39 ddl). Cette valeur étant grande, on la compare au quantile de Chi-2 à n-1 ddl, (q(n-1; α/2), probabilités supérieures), en admettant de se tromper 1 fois sur 20 : α = 0,05.
q(39; 0,025) = 58,12
Ainsi, comme 557,7 > 58,12 on rejette l’hypothèse H0 au risque α car sous cette hypothèse, la probabilité de rencontrer une valeur aussi grande est inférieure à α/2 (en réalité, quasiment nulle). I est donc jugé supérieur à 1 et la distribution est en agrégats.
Afin de décrire cette distribution on retient le modèle binomial négatif BN(μ, k) où μ prend pour valeur 96,5 et la valeur de départ de k est donnée par la relation :
soit : k = 96,52 / (1380,09 – 96,5) = 7,25.
En réalité à partir de cette valeur, k est calculé au maximum de vraisemblance en équilibrant la relation
qui fournit k = 7,48 qui sera retenue pour la suite et le modèle binomial négatif théorique s’écrit BN(96,5 ; 7,48). L’estimation de k est obtenue avec une précision de 0,00016.
Cette valeur de k est supérieure à 5 et confirme ma première impression. Bien que le mode de dispersion de l’espèce soit en agrégats, la très forte densité observée sur les rives de Lescouroux est à l’origine d’une distribution plus aléatoire, plus régulière.
Ajustement au modèle théorique.
Il est intéressant de vérifier à quel point le modèle descriptif retenu "colle" aux observations de terrain. Pour ce faire, les quadrats sont regroupés en 9 classes d’amplitude 20 et les probabilités théoriques P(X=r) sont calculées pour chaque centre de classe (r) à l’aide de l’expression :
Ces probabilités permettent de déterminer le nombre théorique de quadrats par classe d’effectifs (tableau 2) de Lampourdes et de comparer graphiquement la distribution observée à un modèle théorique (figures 2 et 3).
Figure 2 – Ajustement graphique des données expérimentales à un modèle théorique à valeurs continues (tirets).
________________________________________________________________
Classes d'effectifs | 21-40 | 41-60 | 61-80 | 81-100 | 101-120 | 121-140 | 141-160 | 161-180 | 181-200 |
Fréquences observées | 2 | 3 | 10 | 9 | 4 | 7 | 2 | 2 | 1 |
Fréquences calculées | 1 | 5 | 9 | 9 | 7 | 5 | 3 | 1 | 1 |
Tableau 2 – Nombres de quadrats observés et théoriques par classes d’effectifs de plantes.
Figure 3 – Ajustement graphique des données expérimentales au modèle théorique à valeurs discretes.
Enfin, de manière plus rigoureuse, on vérifie que les fréquences (nombre de quadrats par classe) observées et théoriques peuvent être considérées comme égales. Pour un test de Chi-2 on calcule alors la statistique
(Oi: fréquence observée, Ci: fréquence théorique ; pour la classe i)
qui suit une loi de Chi-2 à 3 degrés de libertés (ddl).
En effet, on procède d’abord à un regroupement des valeurs théoriques inférieures à 5 et on obtient au total 6 couples de valeurs. Dans ces conditions, le Chi-2 observé est χ2 = 4,04. Par ailleurs, étant donné que 2 paramètres ont été calculés, on a (6-2-1 = 3 ddl) et le quantile de Chi-2 théorique est qchi2(0,95 ; 3) = 7,82. Comme 4,04 < 7,82, on accepte l’hypothèse selon laquelle les données observées ne sont pas significativement différentes de celles du modèle binomial négatif BN(96.5 ; 7.48) car sous cette hypothèse, la probabilité d’obtenir χ2 = 4,04 est pchi2(4.04 ; 3) = 0,743 ; soit plus de 7 chances sur 10.
Le modèle descriptif retenu "colle" donc bien aux observations de terrain.
On a donc là une confirmation statistique rigoureuse du mode de dispersion (en agrégats) de la Lampourde glouteron sur la zone des relevés à forte densité. On peut alors réfléchir à une explication écologique de la répartition spatiale ainsi confirmée : effets d’hétérogénéité dans l’humidité ou la texture du sol, mode de dispersion des graines, effet du régime des eaux du lac dans le brassage du pool de graines, compétition intra spécifique, ...
Xanthium strumarium